
Coussins, nappes, rideaux mais aussi sièges tapissés, fauteuils et canapés, ou encore chaises de bureau : on a tous une panoplie de pièces d'ameublement textile dans nos intérieurs.
Pour autant, on est peu nombreux à savoir dire qui en sont les créateurs et les fabricants, d'où ils proviennent ou de quoi ils sont composés.
Une méconnaissance à davantage relever et questionner - comme nous l'avions expliqué dans notre précédente newsletter - si l'on souhaite voir évoluer le secteur vers des pratiques plus éco-responsables.
Mais au-delà de mieux produire ou d'éco-concevoir ces pièces d'ameublement textile, comment faire pour faire perdurer celles existantes ? celles déjà-là ?
Comment réanimer les chaises tapissées au textile élimé, les fauteuils éventrés, les canapés usés ou démodés, mis à la benne ou déposés sur le trottoir après à peine quelques années d'usage ?
Bref, comment sauver les meubles !
🔎 À titre informatif :
Voici l'impact carbone (présenté en équivalent carbone CO2e) de certaines pièces de mobilier :
- chaise en bois = 18,6 kg CO2e
- canapé en textile = 179 kg CO2e
- lit = 444 kg CO2e

Parler du métier de tapissier semble ici intéressant, car si par les siècles passés il fut une figure centrale de la décoration intérieure, dans une perspective écologique il est probable qu'il le redevienne.
Effectivement, être tapissier·ère c'est non seulement avoir l'oeil pour accommoder les choses entre elles mais aussi le talent de les raccomoder, c'est-à-dire de réparer tous types d'éléments impliquant du textile.
Et bien que de nos jours, celui-ci soit généralement perçu comme une figure dont la profession relève d'un art noble ou d'un artisanat précieux - aussi bien patrimonialement que pécuniairement - mais quelque peu désuet, cela ne fut pas toujours le cas.
Caractérisé de "tapissier-décorateur" au XIX siècle, mais déjà omniprésent et indispensable au XVII et XVIII ème siècle dans la décoration de certains intérieurs ; son rôle consistait alors, à choisir, à recommander et à réaliser une diversité d'éléments textiles.
Tentures murales ; voilages pour fenêtres et lits à baldaquin ; rideaux ; parures de fauteuils, divans, méridiennes ; cantonnières aux fenêtres et portières ; paravents ; rideaux de cheminée..., le textile s'imposait dans tous les recoins d'une habitation !
Et tandis que cette matière prenait une place essentielle dans l'unité décorative d'un intérieur devenant même "un élément de l'harmonie d'ensemble du décor", mais aussi pour des aspects thermiques, le tapissier se voyait quant à lui, pourvu du noble rôle d'embellissement des intérieurs.

Le tapissier était alors un personnage polyvalent, à la fois "marchand et artisan, inventeur, réparateur et troqueur ", en un certain sens, un décorateur d'intérieur pour une clientèle parisienne et européenne aisée. (cf. Natacha COQUERY, Tenir boutique à Paris au XVIIIe siècle : luxe et demi-luxe, Paris, CTHS, 2006, p. 162.)
Mais pas uniquement puisque celui-ci était aussi "une sorte de brocanteur, revendant des marchandises de seconde main et contribuant à diffuser auprès d'une clientèle élargie une marchandise qui n'est plus de toute nouveauté mais peu encore servir."
Une pratique aujourd'hui assigné aux brocanteurs-mêmes, que certains particuliers ce sont appropriés en vendant sur des sites de seconde main, à l'image de Le bon coin ou de Vinted, des biens dont la qualité est plus dure à certifier - voire n'a jamais vraiment existée pour les éléments textiles bon marché.
En effet, de confection bien plus longue que ne le sont les éléments actuels de la fast déco, tout porte à croire qu'auparavant les éléments textiles d'ameublement étaient moins souvent renouvelés et davantage considérés.
C'est d'ailleurs ce que révèle leur inscription et description dans des inventaires après décès parisiens, consignés dans des fonds d'archives datant du XVIIème siècle : les étoffes composant le décor des intérieurs appartenaient jadis au patrimoine financier des logeants.

Sans machines, sans énergies ou technologies modernes, l'art de tapisser semblait donc plus propre et surtout plus durable.
Mais revenons à notre époque actuelle :
Qu'est-ce que les manières de faire d'antan peuvent nous inspirer en tant qu'architecte d'intérieur ? Et en quoi les éléments textiles de nos aménagements intérieurs peuvent-ils être un véritable atout de durabilité pour nos meubles ?
L'emploi du textile dans les intérieurs possède indéniablement de nombreux atouts, que ce soit pour son aspect décoratif ou ses qualités techniques, mais aussi dans la visée d'aménagements plus éco-responsables :
1 - Sous forme de draperies murales - comme cela se faisait beaucoup il y a de cela plusieurs siècles - ou de tentures, il permet de protéger du froid, d'empêcher les courants d'air tout en offrant une décoration réversible.
À l'inverse des papiers peints, les draperies et tentures peuvent être facilement changées (sans que les anciennes finissent à la benne), réparées, upcyclées ou encore emmenées avec soi lorsqu'on change de logement. De plus, les tentures, par la diversité des tissus, du toucher et des motifs existants mais aussi des agencements réalisables, apporte une ambiance toute autre à un espace que celle produite par un papier peint dénué de relief ou de jeu d'ombre et de lumière.

“ Les tentures sont restées populaires jusqu'au XIXè siècle, même si le papier peint les a supplantées sauf dans les grandes maisons bourgeoises ”
Cf Terrence Conran, dans La maison en tissu
2 - Sous forme de rideaux, il protège de la lumière mais aussi des regards indiscrets dans nos intérieurs tout en protégeant aussi de potentiels courants d'air.
Aux composantes phoniques et thermiques tout autant qu'esthétiques, les rideaux sont encore une fois une manière réversible et ultra personnalisable de se protéger soi ou son intérieur, ou bien même de protéger et de délimiter des espaces dans l'espace en rendant l’aménagement intérieur plus poreux et plus frugales les travaux d'agencement à mener.

“ Les rideaux tenaient souvent lieu de portes chez Grecs et les Romains. Comme les maisons étaient ouvertes à tous les vents, ils entouraient leurs lits de rideaux, parfois richement parfumés. ”
Cf Terrence Conran, dans La maison en tissu
3 - Sous forme de tapis, il apporte un confort thermique à tout espace, en particulier en hiver en plus d'une touche décorative. L'important - comme pour tout élément textile - étant de choisir les bons matériaux en fonction de l'usage et de les sélectionner avec attention pour soutenir une production raisonnée.
4 - Sous forme de housses de mobilier telles que les jupes de tables et les jupes de sièges, le textile apporte élégance mais surtout protection au mobilier dissimulé.
Tout le monde en conviendra, il est bien évidemment plus simple de laver une housse que de tenter de récurer une tâche à même le textile d'un siège tapissé. En facilitant l'entretien de ces éléments de protection, c'est le mobilier protégé qui est à son tour préservé et sa durée de vie prolongée.

“ À l'origine, les sièges sont recouverts de magnifiques tissus amovibles. Plus tard, on adopte les housses pour protéger les sièges tapissés. On enlève ces housses avant de s'asseoir, mais ce n'est pas toujours le cas car, dans certains tableaux du XVIIIe siècle, on peut apercevoir des gens assis sur des fauteuils en bois, recouverts d'amples housses en lin à rayures rouges et blanches ou de couvertures à damiers. ”
Cf Terrence Conran, dans La maison en tissu
🔎 Le saviez-vous ?
Le mot “bureau” est un dérivé de l’ancien français “burel” ou “bure”, qui au Moyen-Age désignait une étoffe marron en laine assez rude. Utilisée pour vêtir les plus démunis et certains ordres religieux (on parlait alors de robe de bure), cette étoffe servit par la suite aux moines copistes pour protéger leur plan de travail au cours de leur labeur. De cette bure couvrante, placée sur un meuble est ainsi née au VIIe siècle le terme bureau ; ce meuble sur lequel nous avons garder l’habitude de travailler.
Les housses pour mobilier, qui apparurent pour "protéger les biens des intempéries et de la poussière" se montrent de nos jours comme une solution enviable pour faire durer son mobilier !
En résumé une housse c'est :
une protection contre les tâches, les ébréchures mais aussi l'usure quotidienne provoquée par la poussière ou la lumière (décoloration)
un entretien et une réparation simplifiée
une réversibilité
un renouvellement possible, par exemple quand on ne peut plus voir en couleur une des pièces de son mobilier ! Une housse offre une toute nouvelle esthétique à un fauteuil abimé, à une chaise démodée, à un canapé décoloré ou griffé...
Mais les housses sont une solution intéressante à condition de :
faire durer ces housses : possibilité de tourner avec 2 ou 3 modèles différents en fonction des saisons et/ou du mood (exemple textile épais et chaud comme de la laine en hiver et plutôt léger et respirant comme le lin en été)
de choisir des matériaux de bonne facture, écologiques et/ou durables

5 - Une autre solution pertinente est la location de pièces d'ameublement tapissier, d'autant plus dans le secteur tertiaire (boutiques, bureaux, restaurants...) où le turn over est plus fort et l'attachement au mobilier plus faible que pour des habitations.
Une pratique qui était d'ailleurs déjà existante au XVIIIème siècle mais pour des appartements bourgeois.
Le textile s'apparente donc et de manière générale à un matériau léger, facile à déployer et à entretenir, aux qualités techniques indéniables ; un matériau à haute valeur décorative et environnementale, vecteur d'ambiances singulières impactantes et personnalisables - à condition de bien choisir les tissus employés en tenant rigueur de leur composition et de leur mode de fabrication.
👉 Au delà du textile, d'autres pistes existent pour "sauver les meubles", en voici quelques exemples inspirants :
Qu'elle soit tapissée ou entièrement détapissée, ou bien même dénuée de textile, toute chaise devrait avoir le droit à une seconde chance et à une seconde vie, d'autant plus au vue de l'importance que ce mobilier occupe dans nos vies : plus d’un tiers des personnes adultes passent plus de 8h/j en comportement sédentaire (soit assis ou allongés).
La Chaise au carré est une startup créative qui propose chinent en France les assises vintage, les restaurent et les personnalisent au goût de leurs clients suivant une démarche durable. Une initiatives des assises comme neufs qui toruvent leur place aussi bien dans les intérieurs des particuliers qu'au sein d'espaces de bureaux pour des entreprises.
Le designer Muñoz Muñoz avec ses S.O.R Office Chairs réalisées en collaboration avec la designer Inés Sistiaga, propose quant à lui des chaises de bureau à roulette de seconde main pour lesquelles le revêtement textile a été changé. Jusqu'au boutistes, ils ont pour se faire, récupéré des chutes de tissus au sein d'ateliers d'artisans locaux pour les retapisser, offrant ainsi une toute nouvelle vie à ces assises au look plus contemporain.
S.O.R Office Chairs, Lucas Muñoz Muñoz, 2021 ©Luca Muñoz Muñoz
🔎 À noter :
La durée de vie moyenne d'une chaise de bureau utilisée dans des conditions conformes est d'environ 5 à 10 ans ; 7 ans d'après l'ADEME pour les sièges, chaises ou banc, comme précisé ici.
Pour savoir si votre chaise de bureau est vraiment à remplacer quelques conseils sont dispensés ici tandis qu'une offre pour les faire réparer est à voir par là.
Les assises colorées de Marianna Ladreyt, confectionnées à partir de bouées en plastique usagées, sont une autre manière de faire ou de remplacer des assises tapissées trop usées. Une manière de faire qui met en valeur les possibilités offertes par le réemploi d'objets pour produire de nouveaux biens ou plutôt en sauver d'anciens.
Tethys Furniture, Marianna Ladreyt, 2022 ©Diane Sagnier & Sam Richon Les poufs colorés et berlingots vendus par La tête dans les nuages proposent quant à eux, encore une autre approche du textile. Faits à partir de toiles de montgolfière, de bâches publicitaires, d'emballage polystyrène et de drap de palace au temps de vie écoulé, ces poufs à eux seuls démontrent les super capacités du réemploi et de l'économie circulaire.
Pour faire le point ?!
Intéressé·es par un supplément d’histoire ?
En France jusqu'à la fin du XVIIIème et la suppression des corporations qui régissaient le marché, ce sont les grandes manufactures nationales qui produisaient la majorité des éléments textiles comme la manufacture de Beauvais (dont la trépidante l'histoire est à découvrir plus en détail juste ici, sur le site du Mobilier national). Créée en 1664 sous le règne du roi Louis XIV et sous l'impulsion de Colbert, son développement devait permettre de concurrencer les manufactures de tapisseries des Flandres pour in fine, stopper les importations via ces régions et permettre de favoriser le commerce national.
Les deux autres manufactures textiles de grande importance étant la manufacture des Gobelins, créée en 1601 sous l'impulsion d'Henri IV, et la manufacture de la Savonnerie, la toute première manufacture royale, à l'origine spécialisée dans la confection de tapis veloutés et de garnitures de sièges.

Et si vous en voulez encore plus, on vous recommande de découvrir dans leur entièreté nos articles et ouvrages “sources” :
L’architecte et le tissu ou comment le décor textile a participé à la notion d’unité décorative dans les intérieurs au XVIII siècle, de Aziza Gril-Mariotte, in Source(s) N°19, 2021
La maison en tissu de Terence Conran, traduit par Judy Brittain, 1998
Le rideau en Europe : techniques, production, décor intérieur 1780-1830, extrait de Sorbonne Université
Ce dernier vous révélera notamment comment l’histoire du textile - plus difficile à retracer que celle des meubles -, longtemps traité comme un sujet secondaire dans les études menées sur le décor intérieur a fini par s’écrire à son tour.
Merci aux peintures et aux gravures d’époque ! Merci aux recueils documentaires ou d'arts décoratifs, aux manuels techniques, aux livres de modèles et aux traités théoriques de cette même époque (XVII-XVIIIè siècle) ! Merci aussi aux inventaires après décès ou patrimoniaux de résidences royales ou impériales, ou bien encore aux archives de producteurs de textiles !
Pour aller plus loin !
En vrac, voici quelques dernières recommandations pour vous appropriez encore davantage ce sujet du textile et celui de l'économie circulaire :
La série “Textiles, une histoire étoffée” dans Le cours de l'histoire sur France Culture
Le podcast We are circular, épisode 3 : Nicolas Brien décrypte la nouvelle loi sur les déchets et son impact sur l'économie circulaire
Le podcast Smart Impact et notamment l’épisode “Accompagner les entreprises du textile circulaire”, où ça parle d'un nouveau métier dit de "tapissier circulaire".
L'article "Unique ou multiple ?" de Marc Bayard, publié dans la revue Formae N°5 : "Si la création reste uniquement cantonnée à la dimension singulière comparable à la production artistique, elle ne pourra pas créer un effet de levier puissant [de la transition durable] et restera dans la sphère de la délectation artistique réservée à une élite." À méditer !
La revue annuelle internationale The Savoir-Faire dont le premier numéro, “The best of French craftsmanship” vient tout juste d’être édité.
Le N°16 S’habiller de la revue La déferlante, et notamment ses pages d’infographies “Nos « dons», leurs déchets” réalisées par Julie Desrousseaux
L’Atelier DIY : retapisser une chaise proposé par Leroy Merlin ou encore le tuto Comment retapisser soi-même un siège avec du tissu au mètre ? pour les plus autodidactes.
L'exposition "Lesage, 100 ans de mode et de décoration" à la Galerie du 19M, pour un aperçu haute couture d'artisans au savoir-faire exceptionnel.
Pour davantage d’infos sur les enjeux écologiques
dans le monde du design et de l'architecture intérieure
Partage si riche et généreux ! J’ai appris plein de trucs 🤓